18 mai 2012

Vulnérable

Ce sont ses yeux qui m'ont frappée, avant tout le reste. Ses yeux bruns, auparavant pétillants, étaient maintenant creusés, fatigués, ternes. Il n'essaie même plus d'avoir l'air en forme. Il ne l'est pas et ça se sent

Puis, il a parlé. Sa voix, pâteuse, ses mots, incompréhensibles. Comme s'il avait la bouche gelée, ou paralysée. Un choc.

Sans compter le fait qu'il se rase maintenant (il a toujours eu une barbe), qu'il a perdu 45 livres et ne porte ni ses lunettes, ni son partiel. Je ne le reconnais plus. Il est si... vulnérable.

Il semblait si triste, découragé, désabusé.

Je ne l'avais pas revu depuis deux semaines, au moment où j'étais allée le voir chez lui. Il avait fait une chute dehors, sur le ciment. Il était un peu confus, n'arrivait pas à écrire. Ça le fâchait énormément. Le lendemain, son docteur l'a sermonné de ne pas s'être présenté à l'urgence. Deux jours plus tard, son mal de dos qu'il a depuis tant d'années devenait soudainement insupportable. Il est retourné à l'hôpital. Ils lui ont fait des tests, des scans. Ils ont découvert qu'il avait fait un AVC très récemment. Probablement ce qui causerait la confusion et la dyslexie. Ils ont décidé de le garder, pour trouver la cause de cet AVC et pour mieux gérer sa douleur.

Il est encore à l'hôpital. Il s'est révolté, a refusé les traitements et les prélèvements pour quelques jours. Il en avait assez. Il trouvait que rien n'avançait, que ça tournait en rond, que les docs ne lui disaient pas tout. Il avait peur, car son propre père a déperri rapidement après avoir fait plusieurs AVC. Ils n'ont toujours pas trouvé la formule pour le soulager de ses douleurs. Le nouveau médicament aurait comme effet secondaire cette bouche pâteuse, ce manque de force dans la gorge. Mais peu d'effet sur la douleur.

Ça m'a vraiment fait un choc de le voir si faible. Mon père, c'est un homme brillant, d'une grande intelligence. Il n'a jamais été fort physiquement, mais tellement fort autrement. Ça me fend le coeur de le voir ainsi, à souffrir, à s'éteindre lentement. Il ne peut profiter de ce qu'il lui reste à vivre. Il est dans sa petite chambre d'hôpital, à ne plus avoir envie de rien. On essaie de voir plus loin, de se dire qu'une fois les bons anti-douleurs trouvés, une fois la radiothérapie terminée, il pourra reprendre des forces chez lui. Mais nous n'en savons rien.

Quand je suis allée le voir mercredi avec mon grand frère, nous avons essayé de l'aider à être plus confortable. Mon frère l'a aidé à enfiler des sous-vêtements propres. Je l'ai aidé à manger. De la compote de poire. À la cuillère. Comme je nourris mon bébé. Je ne pensais pas vivre ça un jour.

Ça fait mal, tout ça. Ça me fait mal de le voir comme ça, de penser qu'il ne jouera probablement plus jamais de piano. Sa musique m'a vue grandir, je l'ai entendue toute ma vie. Maintenant, plus rien. Ses mains étaient froides, maigres. Je les ai tenues, peu de temps, avant de lui dire au revoir.

Je sais que je le reverrai encore. Ce n'est pas fini. Mais chaque visite est un choc, chaque constat me brise le coeur.

Maudit crabe.

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