5 novembre 2010

Deux ans, quatre mois, deux jours

Il était tout rouge et plissé quand on me l'a donné. Couché sur ma poitrine battante d'énergie, mon garçon me regardait avec ses grands yeux bleus. Il n'avait que quelques minutes de vie et déjà, il cherchait. Il flairait, utilisait tous ses sens nouvellement découverts pour trouver ce qui le réchaufferait et réconforterait. J'ai rapidement compris et je lui ai donné le sein sans hésiter. Goulûment , il l'a pris. Il s'y est agrippé, s'est abandonné. Et moi aussi.

Dès le départ, mon deuxième allaitement en était un d'abandon et de bonheur. Mon fils était gourmand, glouton. J'avais la confiance de celle qui n'en est pas à sa première expérience. J'avais l'assurance de celle qui savait, cette fois-ci, où elle s'en allait. Ça ne garantissait pas un bon déroulement, mais ça me permettait de mieux me diriger en cas de pépin. J'étais outillée. C'était le début d'une belle et longue histoire d'amour blanc.

Les mois, puis les années, ont passé. À deux ans, Tilou buvait encore de mon lait quotidiennement, assidûement. Il était encore accro. Il me le demandait maintenant: veux mon du lait! Mais il ne s'est jamais servi lui-même. Il était allaité seulement avant la sieste et avant le dodo. C'était nos petits moments tranquilles pour nous deux. Même si souvent il était tout, sauf relax. Tète, lâche, tète, lâche. Rigole, change de côté, gigotte, tète, lâche, tire la babine, tire les cheveux, veut regarder un livre en même temps... puis ouf, il s'abandonnait et sa tête devenait lourde, ses cheveux humides sentaient bon. Je pouvais caresser sa joue ronde, le serrer contre moi, même si ses jambes dépassaient et qu'il était devenu lourd, grand et costaud.

Si je lui demandais s'il voulait du lait de vache, il me répondait un NON dégoûté et scandalisé, comme si je lui avais proposé du lait de grenouille. S'il me voyait un sein quand je sortais de la douche, il le pointait en disant "c'est mon du lait." Ça lui appartenait.

Je n'ai jamais été tannée d'allaiter. J'en ai jamais eu assez. Mais je me doutais que je devrais faire la coupure moi-même, si je ne voulais pas l'allaiter jusqu'à l'université. J'ai essayé, brièvement, de couper le boire de la sieste. Il hurlait, m'implorait de l'allaiter. J'ai craqué après quelques jours, me disant que je pouvais bien attendre encore quelques mois. Ça changeait quoi pour moi, quelques mois de plus ou de moins? Rien, alors que pour lui, ça faisait toute une différence. Je savais qu'on devrait complètement changer notre routine si nous voulions réussir.

Le moment idéal s'est présenté sous forme de vacances en famille. Deux semaines loin de chez nous, dans un grand chalet avec les grands-parents, oncles, tantes, cousines. Nouvelle routine, nouvel environnement. Le timing était parfait. J'avais décidé longtemps à l'avance que ce serait le moment. J'ai placé cette décision loin dans ma tête, pour l'oublier un peu, espérant profiter de chaque petit moment doux qu'il nous restait.

Les vacances sont arrivées. Le premier soir, nous avons dormi à l'hôtel, à mi-chemin. Je l'ai allaité dans le lit, sans même penser que c'était ma dernière fois. Notre dernière fois. Je n'ai pas savouré autant que j'aurais voulu. Pas pris de photo. Pas immortalisé ce moment. Le lendemain soir, au chalet, je m'en suis apperçue et le coeur m'a fait mal. C'était fait. C'était fini. Je ne l'allaiterais plus jamais.

Il ne l'a pas demandé des vacances. Il n'a pas vraiment eu de difficulté à s'endormir. Ça s'est étonnament bien déroulé. Mieux pour lui que pour moi, en tout cas. J'avais de la peine, je commençais à regretter. Je me sentais méchante et égoïste.

Mais, au bout du compte, j'ai été soulagée de ne pas m'être arrêtée au dernier boire. J'aurais peut-être changé d'idée si j'avais trop pris le temps de réaliser que c'était le dernier.

À notre retour à la maison, j'ai demandé à Hom d'enlever la chaise berçante de la chambre de Tilou pour ne pas qu'il y voit un rappel de ce qu'il n'avait plus. Il n'a rien dit avant plusieurs jours. J'étais penchée vers lui pour lui mettre ses pantalons. En voyant mon décolleté dans sa figure, il m'a dit, d'un air piteux "moi veux du lait" en pointant ma poitrine de son petit doigt potelé. Mon coeur s'est tordu. Bel amour. Mais j'ai résisté. Je lui ait dit, l'air désolé, qu'il n'y en avait plus. Il n'a rien dit et est passé à autre chose.

Deux jours plus tard, alors que Tithom voulait écouter mon coeur avec son stétoscope, il a tiré mon chandail vers le bas. Tilou, appercevant le haut de mon sein, me regarde et me dit "c'est ton du lait?"

Voilà, il avait compris. Mes seins me revenaient maintenant. Ça ne lui apprtenait plus.

Quel petit bonhomme. Quelle aventure nous avons vécue. Quel bel allaitement il m'a fait vivre. Quel don je lui ai fait.

Je suis fière de ce que je lui ai donné. Mon lait, mon temps, mon coeur, mon amour. De tout ça, seul le lait s'est arrêté après 2 ans, 4 mois et 2 jours. Le reste continue et continuera toujours.

1 commentaire:

  1. Oh :-(
    Me voilà avec les larmes qui coulent...
    Merveilleux allaitement que tu as eu.
    Mais ça m'a rappelé le déchirement quand le mien s'est arrêté, et quand j'ai compris a posteriori qu'il n'y aurait plus de tétée, alors que je n'avais absolument pas prévu ça, que je n'avais pas savouré le dernier en me disant que c'était le dernier.
    Moi aussi je m'étais dit que c'était sûrement mieux comme ça, mais comme je comprends le coeur tordu, déchiré, torturé...

    Bravo Kiwi !

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