7 septembre 2005

Un regard vide

L'amie que nous avons aidée à déménager samedi dernier, je la connais depuis que j'ai 7 ans. Nous n'avons pas été amies dès ce moment par contre. Nous suivions des cours de ballet ensemble, mais nous ne nous parlions pas vraiment. Ce n'est qu'en secondaire 1 que je l'ai retrouvée, à mon arrêt d'autobus. Petit à petit, nous sommes devenues amies. On se voyait tous les matins et soirs, dans l'autobus. On s'assoyait la plupart du temps ensemble. Elle ne faisait pas partie de ma "gang" à l'école, mais en dehors, nous étions de bonnes amies. Nous le sommes toujours, même si nous ne nous parlons pas aussi souvent.

Quand nous étions ados, j'allais souvent faire un tour chez elle. Comme la plupart de mes amies habitaient une autre ville (je n'allais pas à la poly du coin), je profitais encore plus de sa proximité. Quand j'avais besoin de quitter le cocon familial trop étouffant, de fumer une cigarette sans me faire juger, de me faire teindre ou raser les cheveux ou simplement de jaser, j'allais la voir. Elle restait dans un petit appartement avec ses parents. Ils m'ont donc très bien connue et je les trouvais très cool de me laisser venir sortir la vapeur chez eux.

Son père a toujours eu une santé fragile. Les problèmes de foie courent dans sa famille, en plus du diabète. Depuis des années, elle me donne de ses nouvelles quand on se parle, en disant "mon père a ci et ça, il est magané... Il n'en a probablement pas pour longtemps..." La connaissant bien et connaissant son sens du drame, je savais quand je pouvais en prendre ou en laisser. La semaine dernière, elle m'a annoncé que son père avait le cancer du foie et que c'était trop avancé pour qu'ils ne fassent quoi que ce soit. Je l'ai crue à l'instant. J'étais très désolée et triste pour elle et sa mère.

Samedi, ses parents étaient là lors du déménagement. Son père, que je n'avais pas vu depuis longtemps, était si frêle, si faible que j'en ai eu le coeur gros simplement à le regarder. Il semblait content de nous voir, mais sans plus. Il avait le regard vide, les joues creuses et l'air ailleurs. On sentait sa profonde tristesse, son immense désespoir à des miles à la ronde. C'était la première fois que je crosais quelqu'un si près de la mort. La totale impuissance de tous devant son grand malheur était intolérable. Je ne savais pas quoi lui dire, je ne savais pas quoi faire. Je me suis assise avec lui sur la balançoire, sur le balcon, pendant que les autres transportaient des meubles. J'étais mal à l'aise, je faisais des petites blagues, mais rien ne lui décrochait un sourire. J'étais assise à côté d'un mourant, d'un homme qui sait que sa vie se terminera bientôt et j'en perdais mes sens.

Il étais assis là, à regarder les grains de sable tomber un à un dans le sablier de ce qu'il lui reste de vie. Les grains de sable sont de moins en moins nombreux, mais il ne peut absolument rien faire pour les arrêter. C'est cette foutue impuissance qui me met à l'envers.

Je me suis souvent demandé comment je réagirais si je savais que j'allais mourir bientôt. Je ne veux pas savoir, du moins, pas tout de suite. Croiser le regard du père de mon amie m'a fait comprendre que j'ai bien d'autres choses plus importantes auxquelles penser aujourd'hui. Il m'a fait comprendre qu'on doit profiter de la vie. On le dit souvent, on le répète parce qu'on sait que c'est vrai, mais on le met rarement en pratique. J'ai peur de perdre les gens que j'aime. J'ai peur de me rendre à ce moment de ma vie en me disant "j'aurais dû..." Son regard qui me criait "Il est trop tard pour moi, mais pas pour toi!" m'a ouvert les yeux. La vie est mal faite, la vie est injuste parfois, la vie est loin de toujours être facile. Mais on en a juste une. Vivons-la.

3 commentaires:

  1. Je vis ça présentement, mon grand-père est à l'hôpital et il lui reste quelques jours.... il faut se dire que c'est la vie et que c'est comme ça qu'elle a été ainsi faite... le temps arrange les choses... je m'imagine les mêmes chose que toi...

    Dauphine

    RépondreEffacer
  2. C'est tellement dure de croiser ce regard...Je l,ai vécue avec ma cousine anorexique...

    RépondreEffacer
  3. Ma belle Coco... pose la main sur ton bedon et oublie la mort... pense a la vie! Et vie la a fond!

    RépondreEffacer